Robert Rius fut un poète, un homme d'engagement, un critique d'art, un théoricien, un historien et un photographe. Après s'être destiné à la peinture, il en devint "un simple passionné", collectionnant et soutenant ses amis peintres. Autres de ses passions connues : les livres rares et les insectes. Les témoins de cette époque évoquent, tous, ses différents appartements comme des lieux extraordinaires, aux murs couverts de bibliothèques, de peintures (Tanguy, Matta, Brauner, Picasso ou Ernst) ou de série de papillons. Homme chaleureux, il accueillait sans réserve et donnait sans compter.

Inventeur avec Benjamin Péret, André Breton et Remedios Varo, vers 1937, du jeu surréaliste dit du dessin communiqué, il fut également un grand adepte de l'humour noir et aida André Breton, à faire connaître ou redécouvrir bon nombre d'écrivains cultes lors de la préparation de la fameuse "Anthologie". Souvent considéré comme "le secrétaire" du Groupe Surréaliste d’avant-guerre, ou celui d'André Breton, son parcours, bien qu'original et singulier, fut constamment occulté par l'anecdote et par sa fin tragique. D'un grand poète, d'un homme cultivé et brillant, on a fait un mort, un fusillé de Fontainebleau, torturé et exécuté par les nazis presque par hasard.
Il fallait étudier les traces de sa vie (et les archives de la Résistance) pour s'apercevoir que le hasard n'avait pas grand-chose à voir avec ce destin fauché brutalement en pleine jeunesse.

Robert Rius est né à Château-Roussillon, un hameau de Perpignan le 25 février 1914. Il passe son enfance à la campagne jusqu'au décès de son père en 1918. Elève au Collège Jésuite de Saint-Louis de Gonzague, il s’associe aux fameuses frasques de la "bande à Bausil". En 1928, il est renvoyé. D'autres institutions l'excluent. Ses ennuis s'aggravent avec l'insoumission au service militaire. Rius s'installe alors progressivement à Paris entre 1932 et 1935. Il travaille comme affichiste pour l'éditeur Arman Colin et rédige des chroniques pour des journaux du sud. Au moment du Front populaire et de la Guerre d'Espagne, il s’implique dans des activités militantes et peut-être jusque dans les Brigades Internationales. On date son entrée au Groupe Surréaliste aux alentours de 1937.


Au moment de la Débâcle, le poète soutient ses amis dans leur exode vers le sud. Ils séjournent à la villa Crépuscule à Canet-Plage, près de Perpignan, et font de fréquents séjours dans la région de Marseille où Breton s'est finalement réfugié. En 1941, c'est au Château d'Air Bel, que les surréalistes, candidats au départ, se retrouvent. Robert Rius leur rend visite, mais il a pris la décision, avec d'autres, de rester. Son amour pour Laurence Iché (qu'il épousera en juin), fille d'un artiste résistant de la première heure, n'est peut-être pas étranger à cette décision. Depuis son nouveau domicile du square Delormel à Paris, il maquette alors clandestinement le premier numéro d'une revue surréaliste : La Main à plume. Participent à cette aventure toutes les bonnes volontés : des anciens des groupes surréalistes belge, suisse, catalan et français, des ex-Réverbères et des éléments de renfort difficiles à cataloguer. En mai, le premier numéro, éponyme est publié, sans la signature des auteurs. En 1942, il rejoint la Résistance et travaille avec application à la série des Pages Libres de La Main à Plume dont le format permet d'éviter la censure. A l'automne, grâce au soutien de Londres, le groupe publie le poème Liberté d'Eluard, opération qui lui apporte une notoriété considérable.

Au printemps 1943, le manque de papier conduit au rapprochement avec deux autres revues : Les Feuillets du 81 et Les Cahiers de poésie. On y retrouve alors plusieurs poèmes et un savoureux Essai d'un dictionnaire exact de la langue française signés R. Rius. Pendant l'hiver 1943-1944, le poète se cache autour de Paris. Il termine son Picasso, Tutemps et réuni le dossier consacré à L'Objet. Mais ces deux derniers recueils ne paraîtront jamais. Le poète a su prendre le risque ultime. Maquisard depuis février au sud de Paris, il est réaffecté en juin à une unité en constitution sous commandement de l'Etat-Major FTP. Il est rejoint par plusieurs membres de La Main à plume, dont deux de ses amis clandestins : Jean Simonpoli, directeur des Cahiers de Poésie et Marco Ménégoz, très jeune poète issu des Feuillets du 81. Chargés de récupérer des armes destinées à libérer Paris, les trois hommes sont arrêtés sur dénonciation, le 4 juillet 1944 à Ury. Robert Rius et ses deux compagnons sont alors incarcérés à la prison de Fontainebleau, sauvagement torturés, ils sont exécutés le 21 juillet dans la plaine de Chanfroy avec une vingtaine d'autres Résistants.