Amedéo Modigliani


Le Ministre des Beaux-Arts vient d'avoir l'ingénieuse initiative d'organiser au palais des Beaux-Arts, à Bruxelles, une rétrospective Modigliani. Fait regrettable, l’État  français diffuse à l'étranger la vraie peinture d'aujourd'hui, qu'il placera demain aux côtés d'un Poussin ou d'un Delacroix ; au contraire, l'on voit dans les palais officiels des croûtes de pompiers. Exception faite pour Renoir, que ces gens-là commencent à s'approprier, comme on a pu le voir dernièrement à l'Orangerie.

 

Il est regrettable de ne pas voir figurer à cette rétrospective la sculpture de Modigliani qui joue un très grand rôle dans sa peinture. Sans l'influence de l'art nègre, sa sculpture n'aurait pas eu la grâce, la finesse de volume que l'on retrouvera plus tard dans ses toiles.

 

On voit Modigliani échappé à un système, mais non pas à son romantisme imbu d'italianité, à sa mélancolie convulsive qui pressure la forme, l'étire, l'allonge et la penche pour la rendre éloquente : il a toujours recherché la pureté. On trouve, dans son œuvre, en bien des cas, une indiscutable malice ou un humour fort savoureux. De là, le sens profond de nombreux portraits, où il y a quelque chose d'assez insaisissable, de fuyant, pour tout dire d'équivoque, tout à fait dans le reste d'une ironie spécifiquement juive.

 

Il exprimera une infinie tristesse, un cœur impitoyable et sans espoir dans ses portraits de gens du peuple, ses portraits étant de vrais états psychologiques d'où se dégagent ces deux mots, d'ailleurs forts justes : "Solitude de l'être". On retrouve aussi cette formule dans les tableaux de l'école Siennoise, sa seule source avec l'art nègre.

 

L'œuvre de Modigliani demeurera somme toute l'œuvre d'un poète, son langage étant soutenu par une si pathétique sensibilité, que l'œuvre persistera pour le moins comme "témoin" de notre temps.


Le Coq catalan n°45, samedi 2 décembre 1933, page 2